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parolessansmusique
1 novembre 2008

DE FEU ET DE SANG





Clich__2008_11_01_16_16_02 

Bonheur de lecture :

Hymen
  d'Emmanuelle Bayamack-Tam ( éditions P O L )

       C'est brillant, intelligent , inconvenant, drôle, grinçant et admirablement bien construit.
       Les personnages totalement frappadingues ont plus de vérité que votre voisin de palier.
Chacun étoffé par le regard des autres acquiert une vie et une complexité qui vous poussent à le suivre jusqu'au bout de ses obsessions.
    Ce qui doit être dit est dit sans fausse pudeur, sans exhibitionnisme non plus, au plus juste, au plus incisif.
    Univers totalement personnel sans aucun nombrilisme.

Fille de feu reprend les même thèmes avec la même virtuosité lexicale et stylistique.

A lire et à faire lire.

    

Ce qu'en disent les "spécialistes" :

« Une poésie aussi magique qu'inattendue, et autant dire génialement absurde, surgit ainsi au détour de scènes ou de descriptions violentes, grotesques et pathétiques, composant les plus beaux moments du récit ; ceux où la souffrance, l'enfance maltraitée, la déchéance se dessinent en creux. »
Céline Geoffroy, Les Inrockuptibles, 7 janvier 2003

« Le quatrième roman de Bayamack-Tam est aussi étrange que les précédents, d'une autre étrangeté, et la même pourtant. On y retrouve les voix parfaitement maîtrisées de personnes à qui tout échappe sauf, par miracle, cette langue écrite que l'auteur leur prête, on y retrouve l'obsession du vieillissement et de la mort, l'absence totale de jugement moral des dires et des agissements, un goût sans remords pour l'automutilation et les conduites vaguement suicidaires, une place légitime pour la méchanceté. Mais, cette fois, l'affaire est amplifiée par la polyphonie de l'écriture : trois narrateurs se succèdent, alternativement, trois pour dire l'histoire de cinq personnages qui entrent en scène à leur tour, apportant chacun une nouvelle couche de réel nouée sur le corps du livre, un peu comme lorsqu'on joue, enfant, à superposer ses mains en paquet sur une table et que la main du dessus s'extirpe pour reprendre le dessus, s'accélérant jusqu'à l'adage : jeu de mains, jeu de vilains. (...)
Ici, trois flots, affluents d'un même livre, font de la laideur une beauté, de souffrances séparées une seule histoire et de quelques malheurs une drôlerie. »
Jean-Baptiste Harang, Libération, 6 mars 2003

« On croit entendre des voix qui prononcent des noms de fleurs. C'est magique. Pour son quatrième roman, Emmanuelle Bayamack-Tam a écrit un conte de fées. Avec des fées un peu mal fagotées, certes, et des princesses bien en chair, mais un véritable conte, un de ceux qui vous font sourire et rêver longtemps. (...) Par un sortilège qui n'appartient qu'à elle, la jeune romancière a su faire de ses personnages misérables et disgraciés de véritables héros. »
Héléna Villovitch, Elle, 27 janvier 2003

Corps. Amour, excision et obésité : une farce folle d'Emmanuelle Bamayack-Tam.

Charonne est une station de métro où il y a eu huit morts, c'est aussi le nom d'une fille du feu et « les filles du feu ne mentent jamais ». On ne sait pas d'où elle vient, elle non plus. C'est peut-être pour ça qu'elle dit tout ce qu'elle pense. Livrée à son aventure, elle ne vit que pour crever les canapés où l'on bavarde et les idées qu'on a reçues. Ah, n'oublions pas : sans qu'on sache pourquoi, comme sa tante en a, on peut l'appeler son père puisque c'est lui, et sa mère l'a successivement excisée, infibulée, torturée, gavée, pincée, pétrie, etc. Avoir subi tant d'avanies n'en fait ni une Éthiopienne, ni une oie, ni du bon pain, ni même rien qu'une victime – même si ceux qui la croisent ont tendance à le lui demander. Elle leur répond généralement en hurlant. C'est qu'elle préfère être aimée pour sa force plutôt que pour sa faiblesse. Elle a raison, ça s'arrangera : son clitoris repoussera, elle aura un fils, le père mourra, les parents disparaîtront, les romans vous disent merde et font parfois des miracles.
Pitié.
Charonne a 20 ans, elle est métisse, presque noire, énorme. C'est elle qui raconte : comme les phrases de l'écrivain, « mes fesses sont deux chimères insaisissables toujours prêtes à bondir et à se cabrer, quand la mode vestimentaire n'accepte que les fesses calibrées et domptées d'avance ». Lorsqu'elle se décroche la mandibule, elle préfère porter un hijab à motif léopard, une autre façon d'avoir l'air d'une idiote et d'un monstre : « Ce ne sont pas les termes employés, mais c'est l'idée : quand vous portez un voile, les gens pensent pour vous. » Bref, « le port du voile n'est pas la meilleure façon de se faire des amis, surtout quand on a des origines ». La sienne est heureusement indéterminée.
Elle a un gimmick : « Pitié pour moi jamais ». Elle écoute Dirty Diana, de Michael Jackson, une autre héroïne à l'origine sexuelle et raciale mystérieuse. Elle porte sa chair comme un drapeau, dans les bars et dans le métro, car « on n'est jamais grosse sans être un peu héroïne ». C'est le « fait méconnu numéro un » dont elle informe sa « chère opinion mondiale ». Il y en aura dix, certains valent d'être médités. Voici le sixième : « Les gens font l'amour tout seuls ». C'est une excisée qui parle. Pensez-y, vous ne le regretterez pas. Ce que les gens font avec d'autres, c'est la morale et la guerre. Un jour, Charonne jouira.
Plus elle aime cet homme, le pédé Arcady, tantôt voile tantôt vapeur, ou une femme, la princesse Diana, animatrice télé-animalière qui se fait sauter dans les boîtes de nuit, moins elle aime les animaux. On la comprend d'autant mieux qu'elle finit par travailler dans une animalerie, où elle remarque qu'il n'y a que les adolescents chevelus pour acheter des mygales. Ce qui rappelle qu'Emmanuelle Bayamack-Tam, il y a quelques années, confiait à ce journal qu'elle aurait aimé être empaillée ; et que, dans l'un de ses cinq précédents romans, Hymen, il y avait une Sharon métisse, presque noire, énorme, que sa mère avait voulu étouffer et qui tombait amoureuse d'un monsieur Chienne.
Dans les livres d'Emmanuelle Bayamack-Tam, le corps est toujours à sa place : il bouge, il souffre, il est travaillé, il se transforme, il change de sexe et de formes, franchissant les limites et ruant dans les brancards. La morale n'y fait jamais de vieux os. Ce qui débloque, c'est la conscience. On la soumet, la pauvre. Elle avance en bavant ses préjugés sous la coquille jusqu'à la feuille de laitue. L'imagination de l'auteur piétine la salade et le reste. Le corps vit ses métamorphoses, ses malaises, et le lecteur le suit en riant, plein de joie, sur un chemin pavé de tout sauf de bonnes intentions, puisque ce sont les seules qui ne bougent pas. Le « fait méconnu numéro deux », selon Charonne, est que « le passage à l'air libre ne garantit pas la respiration ». La lecture de cette sotie au ton tenu de bout en bout, si : elle chasse au gant de crin les particules morales qui, telles des poussières de charbon, asphyxient chaque jour un peu plus le citoyen-mineur.
Monstres.
Son exergue vient d'une lettre de Nerval à Alexandre Dumas, qui figure en préface des Filles du feu. Le premier ayant été interné, le second l'écrivit dans la presse, avec toute la ferveur de l'amitié et l'indélicatesse de l'impatience. Quand Nerval sortit d'asile, il lut comment son ami l'enterrait dans sa folie et en profita pour faire l'éloge de celle-ci : « Entouré de monstres contre lesquels je luttais obscurément, j'ai saisi le fil d'Ariane, et dès lors toutes mes visions sont devenues célestes ». Les chimères d'Emmanuelle Bayamack-Tam la portent vers ce qu'il est convenu d'appeler des monstres, et qu'il serait convenable, c'est-à-dire inconvenant, d'appeler tout simplement, et librement, des hommes.
Philippe Lançon, Libération, jeudi 4 septembre 2008

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