COEURS
L'artiste plasticien Boltanski expose actuellement à Paris des photos de lui , prises à des âges divers ( il a 64 ans ) et propose
l'enregistrement des battements de son coeur dont l'intermittence se marque par une lumière qui s'allume et s'éteint .
Une forme d'autoportrait comme une autre.
Cette oeuvre va , nous annonce-t-on sur France inter hier matin, trouver un prolongement grâce à un généreux mécène ( les mécènes ne le sont-ils pas toujours ? )
L'artiste propose en effet à qui le veut , d'enregistrer son coeur .
Et tous les ego d'accourir.
Les archives sonores ainsi obtenues seront installées au Japon, dans l'île d'Ejima .
Que penser de ce projet ?
Poétique, s'accorde-t-on à répéter dans les médias.
Fascinant .
Tout ce qui collectionne, accumule, compile, empile , superpose, procure le vertige.
Tout ce qui sépare la partie du tout inquiète.
Tout ce qui relie l'un au multiple , l'individu au collectif implique.
L'exil des battements vers une île japonaise fait naître en nous des échos de légendes et accroît le sentiment de fascination.
Pour un peu , on imaginerait déjà le film que pourrait en tirer Hayao Miyazaki .
Je ne sais pourquoi cependant ce projet me glace.
Ces bruits de vies devenant peu à peu posthumes célèbrent pour moi une mort en devenir .
Qu'entendra d'ailleurs celui qui écoutera battre le coeur des disparus ?
Une vaine cacophonie de métronomes obstinés réglés sur des rythmes différents : coeurs de sportifs ou d'enfants , de vieilles femmes ou d'adolescents. Une rumeur de vie et la répétition infinie d'une absence ?
Comme des fantômes, ces coeurs n'aspireront-ils pas un jour à reposer en paix ?
Je pense à une installation vue à la dernière biennale de Venise : un dispositif où le battement du coeur du visiteur- chaland , dans l' espace sombre d'un somptueux palais, faisait naître un parcours lumineux aléatoire .
Je préfère cette proposition artistique et ce jeu d'amour et de hasard .
La vie comme une fulgurance renouvelée et effacée tout aussitôt avec le seul espoir d'une persistance rétinienne de quelques secondes.
Je pense aussi à une chanson que j'ai écrite il y a quelque temps sur un coeur de papier :
C’est le cœur funambule
Et son grand balancier
C’est l’amour somnambule
À ne pas réveiller
T’ avais plié un bout de papier
Qui révélait quand on l’ouvrait
un petit cœur qui coulissait
sur un fil que t’avais noué
des deux côtés de la pliure
c’était un bout d’papier glacé
par une longue déchirure
et de ta plus belle écriture
un peu en guise de baise main
T’avais écrit:« ça va ça vient »
C’est le cœur funambule
Et son grand balancier
C’est l’amour somnambule
À ne pas réveiller
Tu m’as donné ce bout d’papier
Et ce p’tit cœur qui balançait
J’en fus bien sûr un peu glacée
C’était une mise à distance
Des jours et des nuits de silence
Une loi de l’intermittence
Entre la présence et l’absence
C’aurait pu être une épitaphe
A l’encre noire du stylographe
Pour ce pauvr’amour en carafe
C’est le cœur funambule
Et son grand balancier
C’est l’amour somnambule
À ne pas réveiller
Souvent depuis je l’ai ouvert
Bien des étés bien des hivers
Puis un jour je l’ai oublié
Replié entre deux cahiers
La nuit le jour tant de matins
Tant de réveils au quotidien
J’ai retrouvé le bout’papier
Il n’avait même pas jauni
L’amour qui va l’amour qui vient
L’amour qui part et qui revient
C’est le cœur funambule
Et son grand balancier
C’est l’amour somnambule
À ne pas réveiller